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Tala Noweisser
Tala Noweisser lors du lancement du programme Ra.

En juillet 2016, une ONG libanaise ABAAD – Centre de ressources pour l'égalité des genres et Equimundo lancé Programme Ra à Beyrouth avec le soutien du Fondation Womanity tout premier Prix de la féminité. Le programme, adapté du produit phare d'Equimundo Programme H, encourage les hommes et les garçons à remettre en question les stéréotypes sexistes, à remettre en question les idées traditionnelles de la virilité et à contribuer à mettre fin à toutes les formes de violence sexiste au Liban.

Tala Noweisser est conseillère pédagogique pour les élèves de la 5e à la Terminale à l'école communautaire Wellspring Learning de Beyrouth. Le Programme Ra y sera mis en œuvre pour la première fois à partir d'octobre 2016. Dans l'entretien suivant, Tala s'entretient avec Equimundo sur son travail, ses observations sur les normes de genre chez les jeunes Libanais et la mise en œuvre prochaine du Programme Ra dans son école.

L'interview de Tala est la première d'une série de trois interviews approfondies qu'Equimundo publie ce mois-ci avec les champions du Programme Ra au Liban.

Quel est votre rôle en tant que conseiller scolaire à l’école Wellspring Learning Community ?

Je suis là pour répondre aux besoins des élèves et de leurs parents. Je me rends en classe et j'observe la dynamique de classe afin de déterminer les points à améliorer, comme les difficultés scolaires et sociales. Je collabore également avec les enseignants pour intégrer leurs observations et leurs retours sur les performances des élèves dans les différentes matières, car ils peuvent réussir dans certaines matières, mais être absents ou en difficulté dans d'autres. Je rencontre régulièrement chaque élève et je l'observe pendant la récréation pour suivre son évolution tout au long de la journée. En cas de problème, je contacte les parents pour les informer et leur demander s'ils ont des difficultés à la maison, afin de mieux comprendre le point de vue de l'élève. Nous rencontrons également les parents pour échanger sur leurs retours et obtenir des informations générales.

Quels sont les défis auxquels sont confrontés les hommes et les garçons à Beyrouth ?

Les hommes et les garçons ont du mal à s'exprimer librement. Ils le font, mais je ne suis pas sûr que ce soit vraiment l'image qu'ils souhaitent donner d'eux-mêmes. Je pense que certains élèves, notamment à Wellspring Learning Community, aimeraient être entendus ou perçus différemment, mais ils ne le font probablement qu'en privé plutôt qu'en public. En classe, si on demandait aux garçons d'exprimer leur colère, ils le feraient violemment. Ils ne le feraient pas verbalement, car cela les obligerait à exprimer leurs sentiments. C'est la norme que nous observons à l'école. Ces normes entravent la communication et ne les aident pas à atteindre leurs objectifs. On voit facilement leur colère, mais ils ne peuvent pas exprimer ce qu'ils veulent changer. Ils se contentent d'exprimer leur colère sans la communiquer verbalement.

Pourquoi est-il important pour vous de travailler avec les hommes et les garçons ?

Je crois qu'il est important de sensibiliser et de normaliser le fait que nous éprouvons tous des émotions. Nous ressentons des émotions variées à des moments différents, selon les expériences que nous traversons. Il est important de normaliser l'expression de soi pour la rendre acceptable. Nous voulons que les hommes et les garçons cessent de réprimer leurs émotions et de les refouler. Cela compléterait les récents mouvements visant à donner aux femmes et aux filles les moyens de s'exprimer et de faire connaître leurs opinions.

Quel est l’impact que vous constatez lorsque les garçons répriment leurs émotions ?

On commence à voir des garçons exagérer leurs actes et s'imposer encore plus. On les voit s'engager dans le harcèlement, se projeter sur les autres et blâmer les autres pour ce qu'ils vivent. Beaucoup sont profondément en colère. Certains choisissent de ne pas la montrer et adoptent une attitude passive-agressive, et d'autres fois, on observe des réactions qui n'ont de sens que lorsqu'on en parle avec eux. Je pense que le manque de vocabulaire pour exprimer ce qu'ils ressentent a un impact considérable sur leur comportement. Il est important non seulement d'être conscient des différentes émotions, mais aussi d'apprendre les mots pour les décrire. On a tendance à penser que l'on ne ressent que de la « joie », de l'« excitation » ou de la « colère », mais il existe toute une gamme d'émotions que les garçons traversent, et ils n'ont pas les mots pour bien les exprimer.

Pouvez-vous décrire votre partenariat avec ABAAD, Equimundo et la Womanity Foundation pour mettre en œuvre le programme Ra à Wellspring ?

À Wellspring, nous proposons un cours intitulé « Le service comme action », dans le cadre duquel nous élaborons avec les étudiants un programme visant à servir la communauté dans laquelle nous vivons tout au long de l'année. Le service comme action étant une exigence académique, nous souhaitions que des professionnels du domaine nous guident à travers différentes activités et thématiques, et offrent aux étudiants et au personnel des perspectives différentes.

Notre coordinateur du Service en action a contacté Anthony Keedi, responsable du programme « Engaging Men » à ABAAD, et l'a invité à venir animer une séance sur le genre pour nos élèves de 11e année. Nous avons constaté que les élèves ont beaucoup apprécié. La présence d'un intervenant a un impact différent sur les élèves, car il apporte une perspective et une approche nouvelles. Cela témoigne de la diversité et enrichit l'expérience. Ce partenariat avec ABAAD est important et présente de nombreux avantages pour la suite des choses.

Qu’espérez-vous que les jeunes accomplissent en participant au Programme Ra ?

J'espère qu'ils prendront davantage confiance en eux face aux différentes expériences qu'ils vivent et qu'ils comprendront qu'il est normal de ressentir ces émotions, car elles sont là. Il n'y a pas de mal à s'exprimer : si je dois dire ce que je ressens, cela ne me fera pas de mal. Cela aidera les élèves à être plus productifs. Je veux qu'ils sachent que les rôles de genre existent, qu'ils comprennent comment gérer les différentes attentes et qu'ils puissent s'exprimer si quelque chose doit changer afin de ne pas se sentir obligés de se conformer.

Wellspring est une école très diversifiée, accueillant des étudiants de cultures, d'origines ethniques et religieuses totalement différentes. Cette grande diversité est très enrichissante car les étudiants apprennent les uns des autres. On y parle même de nombreuses langues. Nous souhaitons normaliser les différences culturelles et enseigner à accepter et à gérer les différences et les préjugés en exprimant nos opinions et nos émotions, tout en respectant celles des autres. J'ai vraiment hâte de lancer ce projet. Je suis convaincue de l'impact positif qu'il aura sur nos étudiants.

Note de l'éditeur : Cette interview a été modifiée pour des raisons de longueur et de clarté.

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